BRUNSCHVICG Cécile, née KAHN (1877-1946)
Née le 19 juillet 1877 à Enghien-les-Bains (Seine-et-Oise, aujourd'hui Val-d’Oise), Cécile Brunschvicg commence à militer avant la Première Guerre mondiale dans des associations philanthropiques et féministes, pour le vote des femmes. En 1917 elle est parmi les cofondatrices de l’École des surintendantes d’usine. Après la guerre elle continua à militer dans les organisations féministes tout en ayant une part active dans l’administration de l’École des Surintendantes. Militante du parti Radical elle est nommée en 1936 sous secrétaire d’État à l’Éduction nationale.
Cécile Kahn est issue de la très grande bourgeoisie parisienne juive, d’une famille active dans le textile. Son père est un industriel alsacien, qui ayant opté pour la France en 1870, fut chevalier de la Légion d'honneur. Elle poursuivit des études jusqu’au brevet supérieur qu’elle obtint en 1894. En 1899, elle épousa le normalien et philosophe Léon Brunschvicg, devenu ensuite professeur à la Sorbonne, avec qui elle a quatre enfants entre 1901 et 1919. Dans les premières années de son mariage, C. Brunschvicg est l’une des deux femmes (L’autre est Maria Verone, Suffragiste et présidente de la Ligue française pour le droit des femmes) qui ont dominé le féminisme républicain de l’entre-deux-guerres.
Cécile Brunschvicg s’engagea dans des associations philanthropiques laïques, prend part aux mouvements des universités populaires, fut active à la Ligue sociale d’acheteurs, à l’Abri et à la Société des visiteurs… Confrontée à l’exploitation du travail des femmes dans ces associations, elle évolua vers le féminisme. En 1908, elle adhéra ainsi à la section Travail du Conseil national des femmes françaises, dont elle fut élue secrétaire la même année. Entre 1910 et 1913, elle y fut plus particulièrement chargée de la campagne pour faire interdire le travail de nuit des enfants dans les verreries et y milita aussi pour la syndicalisation des femmes. Désireuse d’améliorer la condition féminine, Cécile Brunschvicg attribue à son mari sa conversion au vote des femmes parce que, selon lui, tout découle du suffrage. Aussi convaincue par son mari de l’utilité d’obtenir le droit de vote pour les femmes, elle s’engagea dans la lutte suffragiste. En 1909, elle participa activement à la création de l’Union française pour le suffrage des femmes (UFSF), où elle anima un groupe de propagande qui organisa des conférences dans toute la France. En 1911, elle fut élue secrétaire générale de l’UFSF, structura l’organisation en groupes locaux, organisa la propagande parlementaire et devint présidente de l’association en décembre 1924, après le décès de Marguerite de Witt-Schlumberger. Deux ans plus tard, elle assume le poste de rédactrice en chef de l’hebdomadaire La Française au moment où le CNFF cède le titre à l’UFSF. À la fin des années vingt, l’UFSF compte 100 000 adhérents. Si les suffragettes françaises sont rares, les suffragistes le sont moins.
Comme beaucoup de féministes réformistes, Cécile Brunschvicg donna la priorité à l’Union Sacrée à la déclaration de la guerre et se consacra aux œuvres d’aide. En décembre 1914, elle créa l’Œuvre Parisienne pour le Logement des Réfugiés, qui lui permit de loger environ 20 000 personnes réfugiées. (Cette action de grande ampleur lui valut de devenir en décembre 1920 chevalier de la Légion d’honneur). Entre 1910 et 1913, au Conseil national des femmes françaises elle fut chargée de la campagne pour faire interdire le travail de nuit des enfants dans les verreries, elle y milita aussi pour la syndicalisation des femmes.
Sensible aux problèmes de la formation et des conditions de travail, elle inscrit d'emblée son action dans le secteur du travail social comme un prolongement de son engagement féministe, marqué aussi du sceau de la laïcité́ et du solidarisme. C’est pour remédier aux difficiles conditions de travail des femmes dans les usines de guerre, que Cécile Brunschvicg en 1917, est cofondatrice avec quatre autres à la création et au fonctionnement l’école pour la formation de surintendantes d’usines et participera à son fonctionnement. Membre du comité d’entente des écoles de service social créé en 1927, elle participa, en tant que vice-présidente de la commission qui se créa à en 1930 pour la reconnaissance d’un diplôme d’État qui parut en 1932 donnant accès à toutes les professions du service social. Elle présida aux destinées de l'association jusqu'à son décès, en tant que vice-présidente du conseil d'administration de l’Ecole des Surintendantes ; elle s'impliqua aussi bien dans la gestion financière, les aspects pédagogiques que dans le développement de la profession d'assistante sociale.
Au lendemain de la guerre, elle redouble sa campagne pour le suffrage des femmes, surtout en province. Face au discours du retour au foyer qui veut laisser la place aux hommes revenus du front, résistant avec fermeté à la propagande nataliste, elle ne perd jamais de vue les revendications plus larges du mouvement féministe, concernant surtout la protection du travail des femmes Cécile Brunschvicg soutint le programme pacifiste du mouvement féministe et milita en faveur de la Société des Nations. En 1920, elle participa au "Soroptimist club" ("Rotary club" féminin), où elle aide Marie Jeanne Bassot* à trouver des fonds pour l'établissement des centres sociaux. En juillet 1920, elle collabora à la création de l’Union Féminine pour la Société des Nations, qui fut membre de la Fédération française des associations pour la Société des Nations. Elle se fit l’écho de la propagande pacifiste et des questions du désarmement dans La Française. Antifasciste précoce, même si elle ne remit pas en cause son programme pacifiste, Cécile Brunschvicg confinera et participera activement en 1933 à l’accueil en France et au secours des Juifs chassés d’Allemagne. La dimension éducative du féminisme de Cécile Brunschvicg, qui se doit, selon ses vues, de former des militantes formées à l’action commune, capables de s’élever au-dessus des barrières politiques, l’incita à reprendre en juillet 1926 la direction du journal La Française, auquel elle collaborait déjà en tant que journaliste. Elle dirigea seule l’hebdomadaire à qui elle assigna un rôle d’éducation des futures électrices, de préparation des femmes à la vie publique, tout en les tenant au courant de l’avancée de la cause féministe et des mesures prises en faveur des femmes en France et dans le monde.
Comme son mari, Cécile Brunschvicg s’engage dans la défense de la République radicale et laïque, lorsqu’en 1924, le parti radical permet enfin l’entrée des femmes dans ses rangs. Elle est parmi les premières adhérentes. Un an plus tard, elle est l’une des dix femmes nommées au comité directeur du parti. Sa stratégie a été contestée par les autres féministes. À partir de 1924, devant les échecs répétés des revendications suffragistes au Parlement, Cécile Brunschvicg orienta différemment la propagande de l’UFSF et recommanda à une élite de femmes d’intégrer les partis politiques pour faire comprendre aux hommes la valeur de la collaboration féminine et faire avancer les revendications sociales et suffragistes des associations féministes. Au parti radical où elle adhéra la même année, elle défendit les questions féministes et sociales au sein de la commission mixte et de la commission sociale dont elle fut la vice-présidente à partir de 1929 et lors des congrès du parti où elle présenta des rapports sur les sujets qui la mobilisaient depuis des années : la lutte contre la dénatalité et la mortalité infantile, la protection de l’enfance (elle fut membre du conseil d’administration du Comité national de l’Enfance créé en 1923), la lutte contre la prostitution réglementée, qui était au programme des associations féministes ou encore la lutte antialcoolique, qu’elle avait lié à l’obtention du suffrage des femmes dès 1911. Sans être décisive sur l’évolution de la doctrine du parti radical sur la question du suffrage des femmes, son action au parti radical lui permit au moins d’illustrer par l’exemple la valeur de la collaboration féminine. Si cette adhésion au parti radical avait été reprochée à Cécile Brunschvicg notamment au sein du mouvement féministe, cette dernière ne la concevait pas comme un acte d’allégeance mais comme un moyen de propagande supplémentaire.
Dans les années trente où la crise économique fragilisa la position des femmes sur le marché du travail, Cécile Brunschvicg se donna comme priorité la défense du travail des femmes et en particulier des femmes mariées et le maintien de l’ouverture des concours de la fonction publique aux femmes. Au CNFF la section Travail multiplia les démarches officielles qui furent relayées dans La Française et Cécile Brunschvicg y mit en place en novembre 1935 un comité de défense du travail féminin plus large qui réunit syndicats et associations féministes. Elle soutint aussi le programme pacifiste du mouvement féministe et milita en faveur de la Société des Nations. En juillet 1920, elle participa à la création de l’Union Féminine pour la Société des Nations, qui fut membre de la Fédération française des associations pour la Société des Nations. Elle se fit l’écho de la propagande pacifiste et des questions du désarmement dans La Française. Antifasciste précoce, même si elle ne remit pas en cause son programme pacifiste, Cécile Brunschvicg participa activement en 1933 à l’accueil en France et au secours des Juifs chassés d’Allemagne. Elle créa et dirigea la Commission de service social et médical du Comité national de secours aux victimes de l’antisémitisme en Allemagne, qui fédéra toutes les organisations d’aide aux réfugiés juifs. Les années vingt virent aussi Cécile Brunschvicg s’investir davantage dans le mouvement féministe international. Entre 1911 et 1945, elle participa aux Congrès de l’Alliance Internationale pour le Suffrage des Femmes et du Conseil international des femmes et dirigea le comité d’organisation du congrès de l’AISF qui se tint à Paris en 1926. Ce sont les questions du travail et du suffrage des femmes qui la mobilisèrent particulièrement : à l’AISF, elle fut membre de la commission pour l’égalité des conditions de travail entre homme et femmes, et fut à partir de 1929, la vice-présidente de la commission du suffrage ; au CIF, elle fut la vice-présidente de la commission du travail et présidente de la commission du suffrage à partir de 1938. Elle vit dans ce travail une source de progrès social ainsi qu’un instrument de la paix entre les peuples.
Le 4 juin 1936, Léon Blum la convia à faire partie de son gouvernement en tant que Sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale auprès de Jean Zay, aux côtés de Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie. Le sous-secrétariat de Cécile Brunschvicg, qui se voulait elle-même la Surintendante du ministère de l’éducation nationale, se vit confier des questions sociales intéressant à la fois l’enfance et les femmes : hygiène scolaire et vie sociale des enfants, orientation professionnelle et entraide sociale des jeunes filles et des femmes. Cette expérience ne dura qu’un an, jusqu’à la chute du gouvernement le 21 juin 1937 mais Cécile Brunschvicg put prolonger son action à la vice-présidence du Conseil Supérieur de la Protection de l’Enfance (CSPE) où elle fut nommée le 30 septembre 1937 puis à la vice-présidence du Conseil Supérieur d’Hygiène sociale à partir de janvier 1938. Choisie par les radicaux parmi les femmes du parti, sans doute en raison de son expertise sur les questions sociales, Cécile Brunschvicg développa surtout son action en direction de l’enfance scolarisée en développant les cantines scolaires. Elle créa aussi une formation destinée aux instituteurs et institutrices, désireux d’enseigner aux enfants déficients, ainsi qu’une formation pour les moniteurs éducateurs des instituts publics d’éducation surveillée. Sur les questions féministes, qui ne fut pas la priorité du gouvernement, son action était plus limitée mais elle œuvra pour faire accélérer le vote de la réforme du Code Civil en vue de supprimer l’incapacité de la femme mariée et obtint la suppression de l’obligation de l’autorisation maritale pour l’obtention d’un passeport. À ce titre, elle fut associée aussi aux travaux de la SDN au sein de la délégation française : en décembre 1936, elle participa à la Commission des experts pour l’alimentation de la jeunesse et en avril 1938, à la commission consultative des questions sociales.
À partir de 1938, Cécile Brunschvicg, sans remettre en cause le programme pacifiste de l’UFSF, se prépara à l’éventualité d’un conflit armé et créé en mai 1938 « Les Françaises au service de la nation », destinée à mobiliser les femmes pour la défense passive. Parallèlement, avec la section française du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, elle participa avec l’UFSF à l’organisation de la « Conférence internationale des femmes pour la défense de la paix, de la liberté, de la démocratie » qui se tint à Marseille du 13 au 15 mai 1938, sous la présidence de Germaine Malaterre-Sellier. Jusqu’en juin 1940, elle participe à la défense passive avant de quitter Paris, pour se réfugier à Aix-en-Provence avec son mari. Mais menacés par la Gestapo qui s’est emparée de leur hôtel particulier en octobre 1940, les Brunschvicg décidèrent de passer dans la clandestinité et de se séparer après l’invasion de la zone libre en novembre 1942. Après le décès de Léon Brunschvicg à Aix-les-Bains en février 1944, Cécile Brunschvicg se réfugia sous le nom de Madame Léger à Valence, à l’École des Baumes où elle enseigna jusqu’à la Libération. En octobre 1944, elle retourna à Paris où elle reprint toutes ses activités féministes : elle relança La Française, ainsi que l’UFSF qui devint l’Union française des électrices lorsque les femmes obtinrent le droit de vote. Plus pacifiste que jamais, elle participa à l’Association Française pour les Nations Unies et reprend sa place au sein des associations féministes internationales. Elle dirigea la délégation française au congrès de l’AISF à Interlaken en août 1945. Cécile Brunschvicg n’ignorait pas non plus les nouvelles associations féminines qui se créèrent en dehors des réseaux féministes d’avant-guerre, issues en particulier de la résistance comme l’Union des femmes françaises, dans la mouvance du parti communiste. Elle fait partie du comité provisoire de la Fédération démocratique internationale des femmes chargé de préparer le congrès fondateur de la future Fédération internationale des associations féminines, et fut élue à son conseil et comité exécutif lors du premier Congrès de Paris en décembre 1945. Seule la maladie mit un coup d’arrêt au militantisme de Cécile Brunschvicg qui s’éteignit à Neuilly-sur-Seine le 5 octobre 1946.
Cela montre que cette militante profondément républicaine a consacré sa vie à la cause féministe, étroitement liée au progrès social des femmes. On ne peut qu’admirer l’engagement, l’énergie et l’endurance de Cécile Brunschvicg, l’envergure de ses intérêts et de ses démarches.
SOURCES : Archives Cécile Brunschvicg, Angers, hhtp///buuniv.EXTRANET CAF/catalogue/Brunschvicg.html – Juliette Aubrun, Brunschvicg (1877-1946), Presses Universitaires de Rennes, 2011 – Françoise Blum, « Cécile Brunschvicg », Vie sociale, n° 8-9, 1988 – Georgette Ciselet, Lettre préface de Mme C. Brunschvicg, A.Pedrone, 1933 – Clio. Femmes, Genre, Histoire, 43 | 2016, 43 | 2016, p291-292 – Formaglio Cécile, « Féministe d’abord : Cécile Brunschvicg (1877-1946), Presses Universitaires de Rennes, 2011 – La Française. Journal d'éducation et d'action féminines, Dir. publ. Cécile.
Brigitte Bouquet