ALBRECHT Berty, née WILD (1893-1943)
Née à Marseille le 15 février 1893, Bertie Albrecht exerce comme Infirmière durant la première guerre mondiale. À l’issue de la guerre elle commence une intense activité militante féministe, puis s’engage dans une formation de surintendantes en 1936. Elle exerce quelque temps l’activité de surintendantes dans diverses entreprises. Dès l’occupation par les nazi, elle s’engage, aux cotés d’Henri Frenay dans la création du Mouvement de Libération Nationale devenu en 1941 mouvement de résistance Combat. Arrêtée en février 1942 elle meurt en martyre le 31 mai 1943.
Née à Marseille dans une famille de la bourgeoisie protestante, elle est élevée dans la religion protestante et dans un foyer aisé, Berty effectue des études secondaires d’abord dans sa ville natale puis à Lausanne et obtient le brevet supérieur. Dotée d’un esprit élevé, du sens du devoir et d’un tempérament très indépendant, elle suit une formation d’infirmière et obtient en 1912, son diplôme décerné par l’Association des dames françaises, association qui rejoint la Croix Rouge en 1940 ; c’est un des rares métiers accepté dans les milieux bourgeois. Ce choix traduit son goût pour une action concrète au service des autres. L’engagement social l’attire.
Non sans réserves de ses parents, elle s’installe à Londres en 1914, pour y exercer les fonctions de surveillante dans une pension de jeunes filles tout en étant inscrite à l’University College of London pour perfectionner son anglais. Cette université anglaise née de l’initiative de William Wilkins en 1878, est ouverte aux hommes comme aux femmes sans distinction de race et de religion. Parlant couramment l’allemand (son père est originaire de la Suisse alémanique et sa mère de la Suisse romane), elle est convaincue que la pratique des langues peut lui assurer l’ouverture sur le monde. C’est un séjour initiatique dans une ville théâtre des manifestations des suffragettes qui réclament le droit de vote pour les Anglaises finalement obtenu fin décembre 1918. Elle y retrouve Frédéric Albrecht, citoyen allemand, autrefois employé comme stagiaire dans l’entreprise de son père. Très épris, les deux jeunes gens songent au mariage, projet suspendu car ses parents la rappellent à Marseille à cause du déclenchement de la guerre 1914. Désireuse d’aider, elle rejoint les infirmières de la Croix-Rouge mobilisée dans les hôpitaux militaires. Outre la vision des soldats blessés et des gueules cassées qui nourrit son aversion de la guerre, c’est une plongée dans le monde réel. Elle devient pacifiste. Entre temps, Frédéric qui a été interné à l’Ile de Wight en tant que citoyen allemand, s’exile à Rotterdam où Berty le rejoint et l’épouse le 18 décembre 1918. Elle y découvre une société bien différente de la France, une politique sociale progressiste (assurance maladie, invalidité, vieillesse) et le droit de vote accordé aux Hollandaises en 1919. Elle donne naissance à Frédéric (1920) et Mireille (1924) aux prénoms rappelant la Provence de Mistral chère à son cœur. Puis la famille s’installe à Londres où la City offre un poste d’avenir à Fréderic assurant à la famille un niveau de vie cossu ; les enfants sont élevés par une gouvernante, les relations sociales et dîners mondains tiennent une grande place. Mais, sensible à la misère, cette vie ne satisfait pas Berty qui se rapproche des milieux militants prônant l’émancipation féminine et la libération sexuelle. Ses prises de position lors des dîners, la dégradation des relations conjugales décident Berty à la faveur de la crise de 1929 qui entraîne la faillite de Frédéric, à reprendre sa liberté sans toutefois divorcer. D’abord à Beauvallon où le couple dispose d’une propriété, elle s’installe ensuite à Paris et soucieuse de doter ses enfants d’une solide éducation, elle les inscrit à l’École alsacienne. Militant alors pour le droit des femmes, elle prône des mesures avant-gardistes sur la contraception et crée une revue trimestrielle « Le problème sexuel » diffusée en France et à l’étranger soutenue par une équipe de scientifiques. Mais la parution cesse en 1935 faute de moyens financiers. La même année, sa rencontre dans le sud avec Henri Frenay, officier d’active (Saint-Cyrien de la promotion « Rif »), de douze ans son cadet, d’origine lyonnaise et aux convictions aux antipodes des siennes (religion, politique), est un tournant. Ils ont en commun la culture, un esprit libre et un attachement réciproque fort. La même année, il est admis au concours d’entrée à l’École supérieure de guerre. En 1936, l’agression italienne contre l’Erythrée, décide Berty à rassembler des fonds pour envoyer des ambulances et des aides alimentaires. Puis en juillet, la guerre civile en Espagne la mobilise à nouveau. Elle entre dans la section française du Comité international de coordination et d’information présidée par Victor Basch et Paul Langevin, et se montre particulièrement dynamique dans sa campagne de mobilisation et de soutien aux Républicains espagnols. L’Espagne, l’Éthiopie, l’Allemagne nazie sont autant de combat pour Berty venant en aide avec Henri aux réfugiés républicains espagnols, antinazis et antifascistes. Germaniste, ayant lu Mein Kampf, Frenay est un officier très informé sur le nazisme. Au contact de Berty et des écrivains, des savants de gauche, d’extrême gauche qu’elle reçoit, il partage sa conviction que le conflit qui s’annonce, est une guerre de civilisation. Pendant qu’Henri se perfectionne au Centre d’études germaniques à Strasbourg, Berty qui exècre l’existence bourgeoise, veut apprendre un métier. Elle choisit l’École des surintendantes d’usine près de l’Odéon où elle entre à l’automne 1936 après l’obtention d’une dérogation d’âge appuyée par la sous-directrice Jeanne Sivadon, fille de pasteur, diplômée de l’École pratique de service social, qui l’a reçue, frappée par son charisme et sa clarté. Cette formation au métier de surintendante d’usine, s’achève par un stage qu’elle effectue comme ouvrière au service manutention des Galeries Lafayette pendant un mois. Les enseignements qu’elle en tire dans son rapport «ce stage m’a appris que le travail standardisé, quel qu’il soit, est dur » tout en reconnaissant que c’est sûrement le travail le moins pénible car il ne requiert pas la manutention de matières toxiques ni lourdes. Réaliste quant à l’inéluctable innovation, elle est persuadée qu’il faut obtenir des patrons, le maximum d’hygiène professionnelle et de rationalisation du travail. Pour elle, la surintendante doit être l’interface entre les ouvriers et les patrons dans le but d’améliorer les conditions de travail. En 1938, son diplôme obtenu, elle entre dans la vie professionnelle ; c’est un véritable tournant avec un premier poste à la fabrique spécialisée dans les appareils optiques (Barbier, Benard et Turenne BBT) où elle crée un service social digne de ce nom. Les difficultés personnelles s’accumulent à cause de la santé altérée de sa fille et des relations tendues avec Frédéric resté à Londres qui choqué parce qu’elle travaille, lui suspend la pension.
A la suite de la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne nazie le 2 septembre 1939, Berty coordonne la défense passive dans l’usine BBT, travaillant onze heures par jour. Son fils Frédéric prépare son PCB (physique chimie biologie, préparant aux études de médecine) tout en étant surveillant à Villars-de-Lans tandis que Mireille est à Porté (Pyrénées) en convalescence. Les usines de guerre ayant un besoin impérieux de surintendantes, elle est mutée par le ministère de l’Armement à la Manufacture d’armes à Saint-Etienne en novembre. Les ouvrières y sont moins payées que les hommes et l’implication de Berty pour obtenir une cantine, de meilleures conditions de travail irrite la direction. De retour à Paris au printemps 1940, elle est affectée à l’usine d’accumulateurs Fulmen à Clichy. Mais comme des milliers de Parisiens en raison de l’avancée des troupes allemandes, elle quitte le 10 juin la capitale avec sa fille pour Vierzon où l’entreprise Fulmen s’est repliée. Conséquence de l’armistice franco-allemand, la ville offre la particularité d’être partagée entre zone occupée et zone libre. Abasourdie par l’armistice, Berty n’accepte pas l’asservissement. Chez Fulmen où elle a précédemment doté les personnels d’une cantine, d’une bibliothèque puis aidé à la constitution d’une équipe de football, elle entreprend des actions de résistance.
Dès la fin juin 1940, son état d’esprit est très arrêté : par tous les moyens, mettre les Allemands dehors jusqu’au sacrifice suprême. Elle n’attend pas de retrouver Henri Frenay dont elle est sans nouvelles jusqu’à fin novembre 1940, pour faire quelque chose. A Vierzon avec les ouvriers de l’usine, elle assure de nuit, le passage des évadés sur le Cher entre deux patrouilles allemandes. Elle ne s’arrête pas là : avec la complicité du curé, les enterrements entre l’Eglise en zone occupée et le cimetière en « zone nono », créent des opportunités de passages nombreux y compris le déroulement de fausses obsèques, du moins pendant un temps.
A Vichy, elle retrouve Henri Frenay évadé, affecté comme capitaine au 2e bureau de l’armée d’armistice, qui met sur pied le Mouvement de la Libération nationale (MLN) né d’un groupe de résistants à Marseille ; elle l’assiste en alter ego et ensemble sortent clandestinement le Bulletin d’information et de propagande, feuilles dactylographiées plus qu’un journal. Début 1941, Ils sont tous deux à Lyon où son travail et l’activité résistante exigent leur présence. En effet, forte de solides références, elle est recrutée le 1er février par le Commissariat à la lutte contre le chômage du gouvernement de Vichy, comme inspectrice pour la région de Lyon avec un salaire de 2 500 f qui lui permet d’assurer l’éducation de ses enfants. Elle loue un deux pièces meublé avenue de Saxe face à une ligne de tramway direct jusqu’à la Maison des chômeurs à Villeurbanne. Son travail consiste à mettre en contact les chômeuses et les éventuels employeurs. Elle oriente aussi les femmes vers une formation artisanale pour l’apprentissage d’un métier. Ses revenus sont plus limités car elle dépanne Henri Frenay désormais sans traitement. Révolté par la politique de Pétain, il a demandé et obtenu sa mise en congé d’armistice et il devient clandestin.
Le MLN se développant en 1941 par la fusion avec Liberté créé par François de Menthon pour devenir le mouvement Combat, le plus important de zone sud par les effectifs. Berty a l’idée de créer un service social, exemple unique dans la Résistance. Grâce à son travail acharné, la levée de fonds a rapporté 10 millions de francs qui lui permette d’aider les résistants arrêtés et leurs familles par des colis réguliers ainsi que la mise sur pied de filières d’évasion. La parution du journal Combat est l’autre volet de son action : de l’achat du papier au marché noir, à l’impression, Berty déniche un imprimeur de Villeurbanne qui réussit à le tirer à 100 000 exemplaires dans des conditions difficiles. Quand Frenay s’absente, elle le remplace au sein du mouvement sans toutefois le diriger, les femmes étant à l’époque cantonnées au domaine social. Malgré de dures et longues journées de travail doublées par l’action résistante, Berty confie à son amie Jeanne Sivadon *dont les bureaux de l’Ecole de surintendantes à Paris sont devenus la plaque tournante de Combat, la rupture brutale avec le temps d’avant-guerre. Jeanne Sivadon a été arrêtée en février 1942, mise au secret à la prison de la Santé, puis à la prison de Sarrebruck où elle retrouve ses camarades de Combat, elle est condamnée fin octobre 1943, aux travaux forcés à Cologne, Cottbus, puis Lübeck, Ravensbruck puis Mauthausen d’où elle est libérée en avril 1945 par la Croix-Rouge internationale.
Arrêtée une première fois à la mi-janvier 1942, Frenay la fait libérer. En mai, interpellée à nouveau, cette fois à son domicile sur dénonciation, elle se retrouve à Vals-les-Bains, comme internée administrative. Elle entame, ce qui est exceptionnel, une grève de la faim qui lui fait obtenir son transfert à la prison Saint-Joseph à Lyon. Son procès avec ses camarades de Combat, qui s’ouvre le 19 octobre 1942 à Lyon, a un retentissement particulier car il est le premier du gouvernement de Vichy contre la Résistance. N’ayant aucune chance d’être libérée, elle simule la folie pour être transférée à l’asile du Vinatier à Bron. Elle n’y reste qu’un mois. Grâce à la complicité du médecin qui a compris le subterfuge, et à sa fille Mireille dont les visites à sa mère permettent de renseigner les résistants de Combat sur les lieux, un groupe franc s’introduit dans l’asile et l’exfiltre dans la nuit du 23 décembre 1942.
L’internement, après la grève de la faim, l’a épuisée. Elle sort de cette épreuve meurtrie moralement et doit s’adapter à la vie d’une clandestine traquée par la police de Vichy et les Allemands qui occupent Lyon depuis plus d’un mois. Elle trouve refuge chez des cousins d’Henri à Meysse (Ardèche) qui ne veut plus lui confier de grandes responsabilités par sécurité et tente de la convaincre de gagner Londres avec sa fille. Mais elle refuse voulant continuer de travailler pour le mouvement. Devenue Victoire, elle passe de planque en planque jusqu’à son hébergement à Cluny (Saône-et-Loire), chez les Gouze où Frenay y reste un temps. Combat a évolué sans elle qui n’a pas été associée aux grandes décisions dont le projet de rapprochement avec les services secrets américains par la Suisse. Cette mise à l’écart lui pèse alors même qu’elle sait que le service social du mouvement a un afflux de travail. Il lui faut assurer la fourniture de fausses cartes de rationnement et de ravitaillement aux jeunes réfractaires au Service du travail obligatoire instauré par Vichy le 16 février 1943 et qui gonflent les rangs de la résistance. Frenay qui continue de recueillir son avis, lui confie d’autres tâches, taper le courrier et les rapports. Elle assure aussi la diffusion de journaux clandestins pour les maquis dans lesquels elle écrit des articles, mais elle souffre de cette mise à distance. Avec douleur mais par sagesse, elle décide de mettre à l’abri à Genève chez des cousins, sa fille Mireille jusque-là réfugiée dans un village voisin, par la filière suisse de Combat. La répression accrue contre les résistants en ce premier semestre 1943 a durement frappé le mouvement. Alors qu’elle se rend à une réunion des mouvements unis de Résistance, à Mâcon, elle est arrêtée le 27 mai 1943, victime d’un agent double. Au même moment à Paris au 48 de la rue du Four, Jean Moulin préside la réunion inaugurale du Conseil de la Résistance qu’il a mis sur pied rassemblant avec 16 participants (mouvements, partis politiques et syndicats).
Elle qui avait annoncé à sa fille comme à Henri Frenay, qu’elle préfèrerait se tuer plutôt que de subir une autre arrestation et de mauvais traitements, se suicide dans la cellule à la prison de Fresnes peu après son arrivée le 31 mai. Les circonstances de sa mort demeurées mystérieuses pendant soixante ans ont été élucidées en 2004 par sa fille Mireille Abrecht qui a découvert après plus de vingt ans de recherches, les bulletins de décès de sa mère dans les archives départementales du Val de Marne (.cf p. 38 (dir.) Guy Krivopissko, Christine Levisse-Touzé, Vladimir Trouplin, op. cit. actes du colloque de 2005 à l’occasion de la Journée internationale des femmes à l’Hôtel de Ville de Paris)
Dans son rapport de proposition la faisant compagnon de la Libération, Henri Frenay écrit : « Femme d’un courage exceptionnel et d’une foi patriotique incomparable. Dès l’année 1940 a amené et inspiré la Résistance française qu’elle n’a cessé depuis lors de servir [..] Internée en mai 1942, par 15 jours de grève de la faim, fit capituler le gouvernement de Vichy. Emprisonnée, se fit passer pour folle et réussit à s’évader pour reprendre immédiatement son poste au combat. Arrêtée à nouveau par la Gestapo en mai 1943 [..] Par son exemple et les services rendus a acquis des droits imprescriptibles à la reconnaissance de la Nation ». Le 26 août 1943, le général de Gaulle signe le décret lui attribuant la croix de la Libération. Honorée, Berty Albrecht l’est à juste titre : médaille militaire, croix de guerre 1939-1945 avec palme, médaille de la Résistance avec rosette. Elle repose au mont Valérien depuis le 11 novembre 1946.
Christine Levisse-Touzé